Marie-Béatrice BAUDET, Le Monde, 12/12/1995

 


Il a des accents de « titi lorrain », ce qu’il est d’ailleurs. François Introvigne adore Metz dont il commente l’architecture à chaque parisien de passage. mais le berceau de sa vie, c’est la vallée de la Fensch, là où toutes les villes ont des noms qui se terminent en « ange » alors que les hauts fourneaux qui y crachent de la ferraille font plutôt penser à l’enfer. (…)


 

« Mon parcours pose une question de fond. Dans ce pays, quand on a été quelqu’un, est-ce qu’on a le droit de devenir quelqu’un d’autre ? Quand on a été contre, est-ce qu’on peut être pour ? » Le droit à « changer de peau sans renier pour autant ses valeurs », voilà sa revendication. (…)


 

Quant à sa mue, même après vingt ans, elle présente bien des cohérences. Celle-ci par exemple : quand, au début des années 70, François Introvigne part « s’établir » en usine, renonce donc à ses études « qui l’ennuyaient beaucoup » pour militer, il y va « pour réveiller les gens, les mettre debout, les aider à se construire ». (…)


 

En 1984, quand Jacques Chérèque, ancien pilier de la CFDT proche d’Edmond Maire, nommé préfet chargé du redéploiement industriel, débarque en Lorraine, François Introvigne, qui dit avoir vécu là « sa première rupture idéologique », sera l’un des seuls syndicalistes à l’accueillir. « Il a été effectivement l’un des premiers à piger l’enjeu de la recomposition syndicale, analyse un témoin de l’époque. La sidérurgie française était moribonde. Les Suédois, les Japonais nous taillaient des croupières et les militants locaux refusaient d’entendre parler reconversion. » « J’ai alors compris les limites de la lutte révolutionnaire, reconnaît François Introvigne, jusqu’alors plutôt parmi les premiers sur les piquets de grève, gérant jusqu’à quatre conflits à la fois. Je n’ai pas eu le sentiment de basculer. Je savais que le syndicalisme devait se moderniser et les patrons avec. » (…)


 

Un succès dont on connaît parfois la rançon : le sentiment de détenir la vérité, donc de ne plus jamais douter. De la part de celui qui a refusé depuis l’âge de quatorze ans tout enfermement intellectuel et idéologique, on l’imagine mal. Très mal.