Alain LEBAUBE, Le Monde, 30/12/1991
 

Espiègle, l’agilité d’un écureuil, François Introvigne a tout, à trente-six ans, « marié et deux enfants », pour ressembler, y compris physiquement, à un Cohn-Bendit dont il partagerait l’histoire et les rêves d’adolescent « maintenu ». Gauchiste jusqu’en 1972, « établi » ensuite, comme on le disait alors de ceux qui abandonnaient leurs études pour militer, il a connu toutes les errances politiques, puis syndicales, à la CFDT, et ne regrette rien. Le syndicalisme « de Taylor », celui qui se pratiquait selon un « jeu » convenu, et où pour la moindre revendication, « il fallait passer par la cour » et le meeting, il connaît. Trop bien.

 
Pourquoi a-t-il changé en 1985, au point qu’il a été malproprement licencié par la Fédération des métallos, et qu’il sent toujours le soufre pour une grosse partie de sa confédération, mal à l’aise devant ses initiatives ? Parce que, affirme-t-il, il faut s ‘interroger quand on perd 45 % de ses adhérents en trois ans. Tant pis pour les dogmes, mais on doit réagir si les « cathédrales » industrielles et la Lorraine s’effondrent.
Un père sidérurgiste, mort à coups d’heures supplémentaires, d’origine italienne lointaine, comme beaucoup : il sait d’où il vient et n’oublie pas. Cela l’autorise à prononcer quelques ukases, encore difficiles à entendre dans la région. « Les sidérurgistes, il y en a marre. Qu’est-ce que ce syndicalisme qui protège les uns et pas les autres ? », s’exclame-t-il.

 
Retourné à la base, la suite de son aventure parle pour lui. Depuis 1985, son syndicat, la métallurgie de Moselle, a doublé ses effectifs et pratique la transparence. Alors que tous les autres s’écroulent, il est devenu le sixième, en importance dans le secteur privé, au niveau national.

 
Ce syndicalisme de proximité, qui préfère la négociation à la cassure, qui prône le partenariat exigeant et vante les mérites du contre-pouvoir intelligent, prend des risques à la hauteur de ses ambitions. Depuis six ans, avec une association appelée Stratégie et avenir, et tout un réseau de poissons-pilotes qui génère 3 millions de chiffre d’affaires, François Introvigne, mi-syndicaliste et mi-consultant, joue avec le feu, entouré de toute une équipe d’innovateurs comme lui. Sa structure, qui l’amène à rencontrer de grands patrons, dont Antoine Riboud, PDG de BSN, a pour objectif d’établir les liens d’un dialogue social où chacun aurait à apprendre de l’autre.

 
« Encore syndicaliste », François Introvigne songe maintenant à sa succession et se prépare à un autre virage de sa carrière d’énergumène pensant. Persuadé que la modernisation des rapports sociaux dépend de la hardiesse de quelques précurseurs, il ne peut pas s’empêcher de conclure par une boutade. « Je me fais payer pour dire aux patrons ce qu’ils doivent entendre, lâche-t-il. Les rois étaient moins cons qui avaient des fous. »