Extraits du livre Social par ici la sortie ! d’Alain LEBAUBE, Le Monde Éditions, février 1993


 

(…) L’exemple le plus surprenant, en ce domaine, est certainement fourni par François Introvigne, permanent contesté de l’union régionale de la métallurgie CFDT, redevenu responsable « de base » au sein du syndicat de la métallurgie en Moselle. En 1985, et avec un succès grandissant depuis, il a créé une association dont il est le délégué général, « Stratégie et avenir », qui ne cesse d’établir des passerelles entre les deux mondes qui se veulent antagonistes par tradition, le syndical et le patronat. Consultant, électron libre vibrillonnant, il n’en finit pas d’avoir des audaces, mêlant les publics au sein de ses séminaires, multipliant les visites conjointes d’entreprise pour y décortiquer les politiques sociales, et n’arrêtant pas de provoquer. Aux patrons, il apprend « le parler syndical » au cours de sessions ; aux syndicalistes, il fait découvrir les fondements de logiques qu’ils ne peuvent plus ignorer.


 

De Bernard Brunhes à Henri Vacquin, experts sociaux s’il en est, en passant par Antoine Riboud, Francis Mer et Jean-Marie Descarpentries, personne ne tarit d’éloges sur son action ni ne le trouve suspect. Son discours est clair, qu’il propage maintenant au-delà de la Lorraine, invité pour bousculer les idées reçues. Le management d’aujourd’hui repose sur une stratégie d’acteurs et les entreprises ont besoin d’un contre-pouvoir fort qu’elles ont intérêt à comprendre. (…)


 

À la parole, François Introvigne joint le geste par la révolution qu’il a introduite, avec son équipe de fidèles, dans le syndicalisme des métallos de la Moselle. Comme ailleurs, avec la crise de la sidérurgie, le nombre des adhérents avait chuté de 45 % entre 1982 et 1985. Sclérosé, avec des stratégies d’un autre temps, pas même attractives pour les autres salariés, le syndicalisme des grandes entreprises était en perdition, alors que l’emploi réapparaissait dans des unités plus petites, cette fois sans contre-pouvoir social. Pour suivre une évolution inéluctable, il fallait accueillir des salariés isolés, en provenance d’entreprises où aucun syndicat n’était présent. Mais ce, à deux conditions : d’abord, en apportant des réponses à leurs questions, de nature juridique ou autre, dans un sens de service ; ensuite, en refusant les adhésions individuelles ou défensives selon le principe collectif selon lequel « il ne peut y avoir un type qui fait le gâteau – le syndicaliste, le patron – et un autre qui coupe ou répartit équitablement les parts. » Autrement dit, il faut s’organiser pour que le profit éventuel soit le même pour tous ceux qui ont participé, sachant, ajoute François Introvigne, que « le syndicalisme n’existera dans une entreprise que s’il apporte une valeur ajoutée à l’entreprise et aux salariés ».


 

À partir de ces raisonnements, tout à fait inhabituels, il a apporté la démonstration qu’il y avait place pour un syndicalisme adapté et utile, à la stupéfaction des tenants de la rigueur ancienne. Son syndicat, constitué de micro-sections, se développe d’année en année, fait d’autant plus rentrer ses cotisations régulièrement qu’il rend des services appréciables, et dispose par suite des moyens financiers nécessaires à son action. Depuis 1987, ses effectifs d’adhérents ont en moyenne progressé de 20 % l’an. Mais le triomphalisme de la petite équipe installée dans la zone industrielle de Woippy, pour être au plus proche des réalités, exaspère les dirigeants fédéraux de la CFDT, si ce n’est la Confédération elle-même. Las de la situation, mais fort de son exemple, M. Introvigne s’apprête maintenant à quitter ses responsabilités syndicales, bénévoles, pour se consacrer à « Stratégie et avenir ». Qu’on ne se demande surtout pas qui y aura gagné, à cette rupture qui couvait…